vendredi 2 août 2013

STAGE BD EN MAISON D'ARRET : JOUR 4

Jeudi matin :
C'est le dernier jour du stage, qui est prévu en 4 jours, à raison de 5h/jour. Et ce matin, il n'y a que Jacques, qui a tenu parole pour le coup. Du coup, la séance est très calme. On arrive à travailler, tout en discutant de sa vie. Je le fais tracer les cases de sa première page, pendant que je m'occupe de la seconde. Ensuite je le fais écrire les dialogues et les récitatifs, pendant que je lui fais ses crayonnés. Il me reparle de son arrivée en prison, ses tentatives de suicide, son passage à la maison d'arrêt de Fresnes, chez les fous, de la vie en prison, de son parcours, de ses enfants, de ses frères et soeurs. Jacques est un homme fragile, à fleur de peau. Il parle tellement ouvertement que c'en est parfois génant. A la fin de la séance, les textes sont écrits, et une page a été tracée.
Jeudi après-midi :
Dernière ligne droite. Jacques est à nouveau là, ainsi que Jon, le gitan. J'apprends la raison de sa présence : Jon a 33 ans, et il a pris 4 mois pour conduite sans permis. Il s'est fait chopé 3 fois. Et c'est un "gens du voyage". La 3e fois, c'est la case prison. Le mois de sursis de la première arrestation s'est transformé en 1 mois ferme, plus les 3 qu'il a pris pour la seconde et troisième fois. Il doit sortir en Octobre. Il est confiant, souriant même. Il sait qu'un CDI l'attend à sa sortie, comme ferrailleur. Anthony, en qui j'espérais beaucoup, et qui savait dessiner, n'est pas revenu. Panne d'oreiller le matin, promenade le midi, et pas envie de revoir Mounir, dixit Jacques. Jacques aime bien Anthony. "Il est gentil". Mais Jacques aime bien tout le monde. Il n'est fâché avec personne. Il raconte encore et encore son histoire. Jacques n'arrive plus à se projeter. Il revoit tout dans sa tête. Les dates, les heures. Il finit par laisser tomber ce que je lui ai demandé, trop fatigué. Il prend des cachets le soir, pour dormir. Il n'arrive pas à lire, et n'aime pas la télé. Et il est inquiet. Son grand frère, qui devait venir la veille au parloir, n'est pas venu. A la place, des amis à lui. Jacques étant en appel, il a droit à nouveau à 3 parloirs par semaine, d'une demi-heure. Alors que ceux qui sont condamnés, comme Jon, ou Anthony, n'ont droit qu'à un parloir par semaine. Une demie-heure, aussi. Jacques est aussi en manque de clope. Il a "cantiné" pour en avoir, et espère les avoir aujourd'hui. Il a repris la clope en arrivant en prison. Il a aussi perdu 15 kilos. La séance se termine. Jon a réussi a tracé ses 2 pages, avec les crayonnés. Pour ma part, j'ai fini de dessiner et d'encrer la BD de Jacques. Durant ce stage, j'ai appris que s'inscrire à un stage donne des points (ainsi qu'au sport), que s'inscrire à un stage, ne garantit pas d'y être, car certains gardiens sont emmerdés par les stages, ou alors ils ont certains détenus dans le pif, du coup ils ne vont pas les chercher en cellule. Cogner à sa porte peut donner un rapport. Quand les séances sont finies, on doit cogner à la porte pour se faire remarquer du gardien, ou surveillant. Qui n'est pas toujours visible, et qui prend son temps pour venir. Il doit gérer les retours de promenade, ceux qui vont à la douche, au téléphone, veiller à ce que veux qui ne doivent pas se croiser, ne se croise pas. Il doit répondre au téléphone, gérer les transferts, ceux qui vont chez le coiffeur, le psy, le dentiste ... Il y a a toujours du bruit, du mouvement. Pour sortir de cette petite salle où je suis "enfermé" avec eux, il y a une vitre, qui nous permet de voir tous ces mouvements, et de faire un signe au surveillant. Les détenus appuient sur un bouton qui allume une petite lampe au-dessus de la porte de leur cellule, pour se signaler. Certaines lampes restent allumées longtemps avant qu'un gardien ne vienne les voir. Et ça en rend certains, complètement fous. Du coup, ils frappent au porte, et gueulent "surveillant", ou "gardien".
Par rapport à mon atelier bd de 2012, j'ai senti cette année une vague de protestations, qui m'est confirmée par la directrice du SPIP. Et puis il fait chaud, et ça, ça ne les aide pas à venir  en atelier, parait-il. Dans 2 semaines je remet le couvert, avec le quartier femme, cette fois. Ca devrait être beaucoup plus calme, mais bon, on verra, rien n'est jamais acquis.
En tout cas, je connais des gens qui n'ont jamais mis les pieds en prison, et qui pensent que c'est la belle vie. Parce qu'il y a la télé et tout ça ... Petits détails supplémentaires : pas de frigo en cellule. Par ces chaleurs estivales, voire de canicule, les détenus ont une parade : mettre les produits frais dans les réservoirs d'eau des toilettes. Pour avoir de la pénombre, et un peu de frais, les détenus mettent du carton aux fenêtres, entre le verre et les barreaux. Ils seraient surpris de savoir que dans les locaux du SPIP (Service de Probation et d'Insertion Professionnelle), on y trouve les mêmes cartons. Les locaux sont aussi vétustes, partout. Quant à la douche, elle est collective, et a lieu tous les 2 jours.
Voilà, en 4 jours, ce que j'ai découvert de la vie en maison d'arrêt.

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